Clash Valls-Lemaire sur « internet », et ce que l’on en apprend

valls lemaire contribuezCa s’emballe ce jour sur les réseaux sociaux et les médias en ligne, concernant le tacle du premier ministre Manuel Valls à l’endroit de sa secrétaire d’Etat au numérique, Axelle Lemaire. Bien sûr, c’est une info du journal le Canard Enchaîné, donc à supposer avec un minimum d’emphase et d’interprétation possible.

Mais néanmoins, je suivrai le vieux conseil d’un interviewé, qui un jour m’avait glissé comme conseil pratique : « dans la presse, il faut lire surtout les ‘en bref’ et les entrefilets. Y’a beaucoup plus de vérité sur l’époque là-dedans que dans les longues analyses ».

Que nous dit donc cette info et son support de diffusion, entre les lignes, sur quelques passages clés ?

– internet, c’est pas le sujet : si un séminaire gouvernemental suite aux événements de janvier 2015, évacue d’emblée cette question pour comprendre comment mieux encadrer les jeunes, notamment dans les cités… alors on est pas sauvé. Mais c’est peut être un simple problème de terminologie et de quiproquos. Si Internet n’est évidement pas la cause unique des problèmes actuels, c’est en tout cas clairement son support d’accélération, et notamment via les réseaux sociaux. Car ces outils changent la donne de l’approche géographique et localisée des politiques de prévention et de répression. Les articles ne manquent pas, qui pointent cette proximité des mouvements djihadistes et des réseaux. Et d’ailleurs, le gouvernement ne lance t-il pas lui-même aujourd’hui la campagne web « stop-djihadisme.gouv.fr » ? Axelle Lemaire n’est donc pas hors sujet.

bandeau stop djihadisme

– le qualificatif de « sous-ministre » : il est employé par le Canard dans son article, mais est aussi révélateur de la perception du numérique, du web et des réseaux sociaux… Un sous-sujet, un non-sujet que certains iront cautionner d’un sophisme bienvenu : « Mais le numérique est partout désormais, dans toute la société, le travail…; donc nul besoin qu’il ait un secrétariat dédié ». Oui et non. Oui pour le sens de l’époque, mais non pour l’endroit où l’on en parle : la sphère politique. Qui aurait bien besoin finalement d’un peu moins de com’pol et de spin doctors, et de plus de pratiques réelles des outils au sein des équipes, des partis, des collectivités… Il ne s’agit pas de s’en souvenir uniquement en période d’élections ! Qui plus est même, besoin surtout de comprendre ces enjeux : le numérique n’est ni tout noir, ni tout rose, ni l’El Dorado.

– « On a tous compris, depuis longtemps, le problème d’internet » : prononcé par rien moins que le PM, ça prend du poids. Serait-ce révélateur d’un certain état d’agacement du politique français en 2015, envers ce sujet récurrent du web et des réseaux ? A t-on trop répété à nos politiques que le web et les technos, c’est la clé de tout, le truc à pas louper, le Saint-Graal de demain ? Il est vrai que quand on vérifie dans les chiffres, c’est déjà un peu moins sexy; et surtout on voit que la technologie peut faire mal au plan socio-économique. Pas simple à appréhender quand on doit conduire les affaires de l’Etat et tracer des caps.

– le « je suis trop sévère. Mais on t’aime tous » : étonnante conclusion de Valls (52 ans) envers sa ministre (40 ans), qui veut détendre, mais ramène finalement l’échange à un recadrage de type scolaire et affectif… Est-ce à dire que « l’autorité » est un sujet central actuellement dans le gouvernement, vu comme une classe d’école à mater ? Et est-ce à dire aussi que le secrétariat numérique précisément ne se sentirait pas « aimé », pas suivi ? Pour relativiser, on notera (mais les réseaux ont peu de mémoire…) que c’est pourtant Valls en personne qui est venu appuyer Axelle Lemaire, en octobre dernier, lors du lancement de la concertation sur le numérique (photo ci-dessous). Il serait intéressant d’observer actuellement les moyens données aux uns et aux autres, et les relations qu’entretiennent entre eux leurs conseillers techniques.

valls lemaire contribuez
Axelle Lemaire et Manuel Valls, en octobre dernier à Numa.

 

– question de timing et redondance ? les mots (surtout quand ils sont dits énervés) fonctionnent un peu comme les soupapes… Le numérique broute t-il actuellement notre PM ? Il faut dire que janvier correspond (là encore le web et les réseaux sont oublieux) à un gros mois « événementiel » pour le sujet numérique : déplacement de Macron et Lemaire au CES de Las Vegas (en plein durant les attaques terroristes de Paris), qui relaye avec la fin de la campagne #Contribuez (du CNNum de Benoît Thieulin, annexe du sec’ num)… Autant dire que les allées et alcôves du pouvoir, ont donc du entendre parler du web et des réseaux ! Un peu trop ? Surtout quand on a à gérer une situation nationale très tendue ? Ceci peut expliquer cela…

– « se suivent-ils sur les réseaux sociaux ? » elle n’est pas signifiante, mais certains pointaient sur les réseaux le fait qu’avec cette anicroche, en « voilà deux qui vont pas être amis sur Facebook ». Un détail mais qui peut révéler une ligne de fracture réelle et plus profonde, entre politiques « de l’ancienne école » et ceux de la « nouvelle génération » : tant sur les codes de communication, que les outils et éléments de langage référents. Pour avoir rencontré déjà une fois A. Lemaire, je peux comprendre aussi le clash des deux univers : celui très compassé et codifié du pouvoir politique, VS. celui souple et rapide du monde numérique. Pas forcément compatible sans effort des deux bords… ni frustrations partagées.

Alors, tempête dans un verre d’eau, et simple accroc à la communication politique (d’ordinaire bien lisse) sur les sujets numériques ? L’avenir des rendez-vous de ce dossier nous le dira.

NB : pour compléter, relire la note « Les politiques, LeWeb et la question numérique« , ainsi que « Politiques et réseaux sociaux : 50 nuances de gré (et de force)« , qui s’illustre d’une lumière nouvelle avec ce qui vient de se passer.

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